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Photo du rédacteurO4V

Sufi Trail (Turquie)


Le 2 avril dernier je quittais Annelies à Sofia après une dernière soirée musicale durant laquelle se joué un fabuleux répertoire soufi, trait d’union parfait pour rejoindre les portes de l’Asie mineure.


Après 9 heures de bus pour parvenir à la tentaculaire Istanbul, je finis par poser mon sac dans une auberge de jeunesse dans le quartier de Sultanahmet, après m’être fait royalement entubé par un taxi (je m'en rendrais compte plus tard) ; On peut dire que j'ai recommencé la marche à Istanbul, puisque j'ai cumulé pas moins de 140km en 5 jours, la ville est remarquable, ceci étant je me connais et après 3 jours déjà le blues citadin me prenait, ajouté à ça les nombreuses arnaques à « la gueule du touriste » ( je n'avais qu'à être plus méfiant). Ni une ni deux je décide qu'il est temps de quitter l’agitation urbaine pour aller à la rencontre de l’Anatolie et de commencer enfin à pratiquer les quelques notions de turc que j'ai potassé cet hiver en Bulgarie.


J’embarque pour le férie direction Yalova, point de départ du « Sufi Yolu », grande randonnée de 840 km jusqu’à la très pieuse Konya, ville de cœur de Mevlana. 1er jour de marche en douceur mais un orage me lessive tout l’après midi, je débarque à Akköy à 17h trempé jusqu’aux os et décide de sécher sous un abrît au cœur du village. Ici que des hommes, plutôt rudes et peu de salutations ; autant vous dire que ce premier jour de marche a joué avec mes nerfs ; mais bon rien d’alarmant j'ai connu pire, juste que c'est le premier jour, que la banane dont j'ai fait l'acquisition pour plus de confort a pris l'eau et le conte que j'écris en ce moment est rincé. J’étends toutes les notes sur la table du kiosque en bois et enregistre le texte encore visible sur mon dictaphone ; je suis ultra détendu, je contrôle la situation ; cependant il pleut toujours des cordes et je me vois mal camper ce soir.


Au bout d'un moment le gar du bar à çay me fait signe et me paye un thé. Je tente de communiquer en turc mais c'est pas une réussite. Je sens bien que je suis pas pris au sérieux. C'est pas grave je m’en fiche en soit, je dégaine Google translate et lui demande si il peut m’aider pour cette nuit, il me propose de dormir ici, sous la terrasse couverte du bar (ou plutôt du fumoir du bar) ; je suis heureux comme un pape ; il me ressert un çay et j’essaye tant bien que mal d'expliquer mes pérégrinations de marcheur depuis 8 mois. Ah oui et j’apprends que c'est Ramadan (à Istanbul ça m’avait pas marqué) ; du coup le maire de la commune débarque avec ses acolytes de bureau pour fluidifier le lien social et partager un joyeux repas à la nuit tombée avec les hommes du village. Il cause bien anglais alors je lui présente la situation, il finit par m’inviter à leur tablée et j’ai droit à un dîner traditionnel (çorba, salata, tavuk, pirinç, pide, baklava ve ayran), j'hallucine à la vitesse avec laquelle ils avalent le repas ; je me dis alors qu'il faut peut être que je me presse aussi. J’avale mes 3 baklavas d’un coup, bois mon ayran cul sec et tout le monde quitte la salle. Je retourne au café et je me fais aussitôt enrôler pour le service du thé : enfin une opportunité de montrer ma valeur, puis de mériter ma nuit au chaud. Je sais que les salaires sont bas en Turquie mais les 3 heures de turbins à servir des çays dans le brouillard de clopes auront bien compensé la nuit sur un banc proche du poêle. Je suis un peu l’animation exotique de la soirée, l’expérience est originale, belle introduction dans l’univers turc traditionnel. Lendemain matin debout 6h, un çay et enfin la marche peut vraiment commencer.


Je file vers Termal puis Kurtköy, mi asphalte mi sentier bien boueux, des paysages vallonnés et pas mal de hameaux, c’est pas encore le gros kiff mais waouh ça y est je marche en Turquie ! Je pratique mes salutations en turc dès que je croise quelqu’un et rapidement j'arrive dans des zones plus forestières gorgées de ruisseaux. 2 chiens me suivent sur près de 8 km malgré mes remontrances et je dois contacter le maître grâce au numéro sur un collier.


Je campe dans les bois deux nuits ; un matin je croise Sinan sur un chemin forestier, il m’embarque dans son 4x4 et m’invite à manger dans un lokanta (cafet' turque) à Orhangazi et me met à la page sur quelques coutumes locales, ne faisant pas le Ramadan il me rassure sur certain point et sa gentillesse me touche profondément. On discute surtout avec Google translate mais mon cerveau baigne enfin dans le « parler turc ». Il retourne sur son chantier et je traine un peu en ville pour écrire et profite du beau temps avant de filer dans les oliveraies.


Paysages agricoles verdoyants en pleine saison de taille, c'est un festival de couleurs, les oliveraies donnant sur le lac d’Iznik sont un Eden d’oiseaux, tortues terrestres et reptiles en tout genre, les fleurs éblouissent tant elles dynamitent la verdure et les grenouilles fanfaronnent bruyamment dans les canaux qui découpent ces paysages étonnants. Tout les jours c’est cueillette et salades sauvages. Yeniköy, Üreğil, Çakırlı, keramet, des villages vivants, bien achalandés en petits commerces et les salutations vont bon train, on se sent bien par ici, les gens sont bel-et-bien vivants et la paysannerie semble durable.

Une nuit sur les Collines avec une vue éblouissante sur le lac, se termine au petit matin par des bourrasques infernales qui couchent ma tente à plusieurs reprises ; j’hésite à reprendre la marche, je prend mon courage à deux mains, plis mon matos trempé et marche en militaire vers le village de Orhaniye pour finir l’étape en okul taşıtı (bus / taxi collectif) jusqu’à la célèbre ville d’Iznik (Nicée) ; j’en profite pour échanger un max avec les gens que je croise il faut que je débride mon parler turc rapidement, ici pas moyen de causer anglais et les gens sont trop cools pour se priver de quelques échanges avec eux. En sortant du bus un mec m’invite à boire le çay puis me guide vers un hôtel bon marché pour la nuit, je traîne en ville sous la pluie, boit une bière dans ma chambre (ici l'alcool est assez mal vu), prend une douche et au lit. Le lendemain je quitte la ville tout en flânant à la sortie pour visiter les vestiges de Nicée (capitale de l’empire du même nom, correspondant à l’héritage Byzantin).


Après avoir quitté les vastes oliveraies j’arrive dans la province de Bilecik où les moyennes montagnes pointent à l'horizon, changement de décor ici la culture céréalière prend le relais, les vastes plaines typiques de l’Anatolie commencent à se dessiner dans l’horizon mais ponctuées de massifs montagneux plutôt modestes pour l’instant. Sur les chemins je croise Emrullah en tracteur qui s’apprête à aller travailler les sols, il m’embarque et je finis par passer la journée avec lui, il m’invite à boire un çay à Bilecik alors qu’il observe le jeune. Encore un gar authentique avec qui je passe une belle journée sans chichis. Je trouve ensuite un spot pour le bivouac dans le vallon situé sous la mosquée Ottomane Orhangazi dans un Paradis vert et quasiment dans la ville.


Au petit matin je visite la mosquée puis repars sur le sentier soufi direction Söğüt en traversant de vastes plaines peu boisées mais ouvertes sur un paysage de montagne lumineux, où l'odeur de la terre fraîchement travaillée embaume l’air. Je suis en pleine forme et l’appel de la montagne se fait sentir, jusqu’à présent le tracé est plutôt facile, peu de dénivelé et de nombreuses étapes pour s’offrir un çay et un simit (pain en anneau au sésame ; discrètement c’est le Ramadan ca se respecte), les villages que je traverse sont toujours très animés et c’est l’occasion de pratiquer quelques mots turcs appris en marchant.


Le temps printanier est l’idéal, il fait parfois plus de 25 degrés et en plein soleil les ressentis sont déjà plutôt intenses. Aucun souci pour camper tout les jours et les kangals (chiens de bergers turcs tant redoutés) ne sont définitivement pas un problème si on les ignore royalement.


J'arrive ensuite sur les vastes plateaux d’Eskişehir où je traverse une vaste étendue de maraîchage avant de parvenir à la cité, plus de 700 000 habitants tout de même, je décide de prendre un lit en hostel (Deeps hostel) durant 3 jours pour en profiter. La ville est vraiment plaisante, malgré la foule j’ai ressenti beaucoup de sérénité et de calme ; l’ancien quartier ottoman de Odunpazarı est une invitation à flâner pour saisir le clair-obscur en photo sur les nombreuses façades colorées, déguster un plat de mantı (ravioles) et visiter le musée d'arts modernes qui vaut vraiment le détour (30TL). La ville offre nombre d’opportunités de balades paisible et son passé historique entre seldjoukides et ottomans est fascinante ; le célèbre architecte ottoman Sinan (d’origine chrétienne.) a laissé sa trace et la mosquée de kursunlu qui surplombent le vieux quartier est superbe et renferme un musée. Avant de quitter la ville je passe la soirée avec un couple de jeunes avec qui j’en apprends toujours plus sur la culture locale.


Je quitte la ville sous la pluie et mets 2 jours à me détacher de son emprise visuelle, s’en suivent de longues journées de marches toujours rythmées par des escales quotidiennes dans les villages et de belles excursions en pleine nature, plus je m’enfonce dans l’Anatolie plus la pratique du Ramadan est rigoureuse, et plus je ressens une énergie vibrante, que ce pays est beau à voir et à éprouver. Le modèle vivrier est encore bien ancré dans la ruralité et tout le monde semble avoir une ferme en polyculture ; de nombreux turcs que j’ai rencontré avaient plusieurs boulots, la situation économique est assez désastreuse, le portrait d'Atatürk est partout, j’ai même vu des autocollants pour voiture à son image, voitures de la marque Tofaş s.v.p. pure production turque et ces engins ont l’air de défier le temps, d’ailleurs on croise ici de vrais véhicules de collection dans un état irréprochable ; les tracteurs Fiat Türk sont ultra-répandus et c’est du solide apparemment.


J’arrive doucement vers les vrais massifs montagneux et chaques jours j'éveille toujours plus la curiosité des locaux qui se demandent bien pourquoi je ne prends pas un bus ou une voiture pour aller à Konya. Je commence à tenir une brève conversation en turc et lorsque je suis invité à me poser au bar à çay tout le monde veut connaître mon histoire. Néanmoins dans les villages plus reculés je sens parfois de lourds regards posés sur moi, évidemment je dénote dans le paysage (mon look laisse croire à certain que je suis afghan).


L’appel à la prière rythme mes journées et j’éprouve de plus en plus l’unité de cette si belle routine religieuse. Á Seyitgazi j’ai la chance de rencontrer Baha dans le complexe de Seyyid Battal Gazi, rendant hommage à un guerrier héro du même nom mort en 720 face à l’armée Byzantine ; Baha restaure les boiseries de ce monument éblouissant du XII e s. et rêve de venir travailler en Europe de l’Ouest. Encore une belle connection, on prend le temps de discuter autour d’un çay.

Ensuite je passe deux jours fabuleux sur un ancien site phrygien (peuplade venue de Thraces vers le 8eme s. av. J.C.) et je me paye le luxe de dormir dans un très vieil habitat troglodyte, le cadre est hors normes, des circaètes planent dans le ciel, de nombreuses couleuvres à colliers et de charnus lézards verts du Caucase s’agitent autour de moi. À la nuit tombée le hurlement des chacals et des chiens répondent aux appels à la prière, tandis que les rapaces diurnes déchirent la nuit de leurs cris d’effroi. L’ambiance est mystique. Ces habitats phrygiens sont en si belle harmonie avec le paysage, je les arpente hors des sentiers avec 4 kangals câlins qui m’ouvrent la voie durant plusieurs heures ; la portion du sufi trail entre Çukurca et Yazılı est époustouflante et encore très préservée du tourisme : c’est un musée à ciel ouvert.


Un matin je me lève avec l’envie de goûter un fromage fermier local et à midi je croise Mme Murat Kalkmaz qui m’invite à manger et me vend 1kg d’un fromage de vache (kaşar) 100% naturel et mémorable ; la gentillesse n’a jamais été aussi naturelle qu’en cet instant, malgré le ramadan elle n’hésite pas à me préparer à manger et me parle à cœur ouvert.

Désormais devant moi se dressent de grandes montagnes et après une nuit sur un premier petit sommet à 1350 mètres je file vers Emirdağ où je fais halte pour manger et préparer trois jours de nourriture pour partir dans les montagnes. Je rencontre Murat originaire de la ville mais vivant dans le Nord de la France, l’occasion de parler un peu français et d’entendre ses mots concernant le pays : « ici tout est plus simple, pas de paprasses, pas de chichis et on se prend pas au sérieux.. », effectivement c’est ce que je peux ressentir d’une manière générale ; ici pas de masques les gens sont juste vrais. Je traine pas en ville et passe rapidement de l’urbain à la haute montagne où je plante la tente face à l’emirdede türbesi (2050m) mon objectif du lendemain matin.


Enfin la montagne la vrai, les bergers, les troupeaux et leurs cloches qui tintent dans le vent ; des aigles, des faucons et des tortues (oui oui). Je discute avec quelques bergers, me retrouvent encerclé par des troupeaux mixtes chèvres brebis au soleil couchant et constate que le Kangal n’est définitivement pas cette bête terrible dont tout le monde parle. Quelques conseils de base pour éviter un face a face musclé : observer sur le sol les crottes de moutons pour savoir si un troupeau est passé récemment dans le coin, tendre l’oreille et ouvrir l’œil, au moindre son de cloche chercher à localiser le troupeau pour le contourner (1 voir 2 km en plus c’est toujours mieux qu’un coup de crocs), avoir le pas léger càd ne pas faire dévaler toutes les caillasses sur lesquelles ont prend appuie, ne pas chercher leur regard et si ils décident de venir vers vous analyser rapidement leur comportement : si la rage brûlent dans leurs yeux un coup de sifflet peut aider (un sifflet accroché à une bretelle du sac ça pèse rien), éviter le bâton ces bêtes là mettent un ours à terre et si c’est juste de l’aboiement dissuasif contourner tranquillement et avancer calmement en les ignorants ils finiront par vous lâcher; enfin si vous devez obligatoirement passer proche du troupeau attendre que le berger soit près de vous. Bref ce sont quelques conseils mais le mieux c’est d’affuter son instinct et aller sur le terrain affronter ses peurs.


Après 3 jours de montagne et les guibolles bien sollicités je redescend vers le plateau et traversent quelques petites villes charmantes et toujours hyper animées telles que Bolvadin, Çay et Akşehir, on m’offre à manger, m’héberge et me laisse parler le turc sans hâte, je ne compte plus le nombre de belles âmes que j’ai croisé dans ces petites cités. À Doğanhisar je me fais embarqué par un groupe de jeune qui m’amène sur un super spot de bivouac et reviennent m’apporter à manger 1 heure plus tard, ils reviennent même tous à la nuit tombée pour passer un moment avec moi ; de la bienveillance pure.


Je suis désormais définitivement dans les montagnes, je ne descends que très rarement sous les 1000 mètres et les paysages sont sublimes, il me faudrait écrire un roman pour décrire la diversité de la flore que je traverse, des minéraux que je foule, des forêts de résineux, des chênes ou encore de grandes étendues arides ; je suis désormais dans la steppe anatolienne mais il y a toujours de l'eau et des sources coulent de partout. Cette longue marche ponctuée de virées en tracteur et de quelques session en stop fut une expérience formidable ; ici je relate l’essentiel pour vous laisser imaginer le plaisir que j’ai éprouvé. Je suis désormais à Konya depuis 2 jours, c’est l’Aïd al-Fitr (la fête des sucreries) et j'arpente tranquillement cette vaste métropole, mondialement connue pour être un célèbre lieu de diffusion de la mystique soufi, notamment grâce à Djalâl ad-Dîn Rûmî ou plus communément appelé Mevlana, le grand poète et mystique soufi initiateur de la confrérie des derviches tourneurs.

Désormais je m'organise pour trouver un bénévolat en Anatolie orientale et sa très célèbre région de Cappadoce, j’ai besoin de créer du lien et lever le pieds quelques jours, la solitude pèse.

Pour conclure : « Venez en Turquie c’est fabuleux ! » (puis pour une immersion dans l'islam c’est un portail de premier choix je pense). O4V

(Sofia vue du bazar)

(Ayasofya, Istanbul)

(Lac d'Iznik et oliveraie)


(museum d'art moderne, Eskişehir)




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